Simone MORGENTHALER
© Martin BERNHART
(Photographe)
Un seul SOLD nous manque
C'était dans les années 80. Je ne saurais plus situer l'année
précise. J’étais dans le hall d’entrée de France 3 Alsace, place de Bordeaux à Strasbourg. J’ai vu un grand gaillard pousser les portes vitrées, saluer de sa voix sonore la standardiste, dire un mot aimable à la personne en charge de l’entretien et rire avec les techniciens. C’était Eric SOLD, un gars sympa, pétri d’humanité, passionné par l’Alsace et sa langue maternelle, doué pour tout ce qu’il touchait.
Il était enseignant et devint parallèlement commentateur et reporter : sa voix et celle de Christian DANIEL résonnent dans ma tête comme des voix mythiques commentant le Racing du temps de GRESS, SPECHT, ROCHETEAU, GEMMRICH, HILD.
Eric les appelait par le prénom : Gilbert, Léonard, Dominique, Albert,
Max.
Il marchait généralement vite dans les couloirs car il fallait monter le sujet de son reportage pour le journal du soir. Aller vite : il aimait. Même s’il accordait du temps aux autres.
Eric avait l’amitié et la fidélité vissées au corps. Il plantait son regard bleu dans le vôtre et on appréciait cette façon d’oser regarder l’autre, sans hypocrisie, en affichant clairement les pensées et les intentions.
Je m’entendais à merveille avec lui. Nous avions la même pointure de col. « ‘s selwe Krajemass », comme le dit notre langue maternelle que nous pratiquions, que nous aimions naturellement, sans avoir à le souligner. Eric était à l’aise en français comme en alsacien. Faire une émission sportive en alsacien n’est pas simple, lorsque les équipes techniques sont généralement francophones ! Mais parler si naturellement du sport dans la langue maternelle, n’était-ce pas la preuve la plus juste que notre langue était forte, juste, bouleversante et vraie ?
Son magazine Drei Ecke e Elfer, non sous-titré, faisait d’étonnants scores
d’audience. La beauté des termes sportifs en alsacien s’affichait sur le petit écran. Ces mots dits dans la vraie vie n’avaient jamais auparavant passé la rampe de la télé.
Idem pour 's schlaat 13, magazine d'infos locales en alsacien.
Eric était
certes un enseignant-né mais il était aussi un journaliste-né. Il n’avait pas spécialement travaillé sa voix mais elle fut de suite parfaite en radio comme en télé. Et son visage, comme son corps, étaient faits pour bouger devant la caméra qu’il fixait aussi simplement, honnêtement, qu’il plantait son regard dans vos yeux. Il n’avait pas fait de théâtre mais il était de suite à l’aise sur scène ! Il présentait les remises de Prix comme les Bretzels d’or ou les émissions comme
Sportshow en direct de l’Auditorium, avec aisance, professionnalisme et gentillesse.
Nous avons passé une partie de notre jeunesse dans la même région, celle de Saverne.
La première fois qu’il m’a abordée dans un couloir de la télé nous avons mené un dialogue de ce type :
« - Ich bin von Monswiller, bisch dü nit von Haegen ? (Je suis de Monswiller. Tu n’es pas de Haegen ?)
- Doch. Un in minem Dorf isch manichmol de Briefbot vo Monswiller
g’ange. (Si. Et dans notre village, certains jours c’était un facteur de Monswiller qui distribuait le courrier.)
- Meinsch de OBERLE ? Dis isch de Bappe vom Schriftsteller Gérard OBERLE. (Tu veux dire OBERLE ? C’est le papa de l’écrivain Gérard OBERLE.) »
Eric et moi partagions le même amour des racines, de notre terre et de sa langue. Nous partagions aussi les mêmes réalisateurs et techniciens. Il enregistrait avec Lothaire BURG les émissions
Üss'm Schülersack coproduites par l'Académie de Strasbourg (prenant ainsi la succession de Maurice LAUGNER et de Christian WINTERHALTER), et pour lesquelles il était détaché de l’enseignement. A la même époque, j’arpentais avec Lothaire l’Alsace Bossue pour
Laendeltreppler.
Alfred ELTER a également réalisé de nombreuses émissions d’Eric SOLD alors que je tournais en sa compagnie la série
Kichespring accompagnée par Ernest WIESER et Louis FORTMANN ; et ce durant trois années.
Je partais souvent en reportage avec Jean-Pierre DETZEL, Lambert BAUR et Théo KESSLER ; avec eux j’ai sillonné l’Alsace et nous passions des journées entières à ne parler qu’en alsacien sans prononcer un mot français (sauf lors de la commande du plat du jour dans
certains troquets du Sundgau, de l’Outre-Forêt ou d’ailleurs). Le trio me racontait généralement ce qu’il avait tourné la veille avec Eric. Et j’imagine que les trois acolytes dialoguaient de la même façon qu’avec moi lorsqu’ils tournaient avec Eric. En tous cas, alors qu’Eric et moi nous nous croisions plutôt rarement, nous avions toujours l’impression d’être sur la même longueur d’onde et parfaitement au courant de ce que faisait l’autre.
Nos directeurs s’appelaient Georges TRABAND, puis Jean-Louis ENGLISH. Les directeurs des programmes s’appelaient Gérard HEINZ et Jean-Marie
BOEHM. Tous nous témoignaient du respect et nous permettaient de travailler dans une liberté qui aujourd’hui ne paraît probablement plus concevable.
Simone MORGENTHALER
avec Hubert
MAETZ / Emission Sür un siess
© Martin BERNHART
(Photographe)
En y réfléchissant, je me souviens qu’Eric dut intervenir comme médiateur entre Jean-Louis ENGLISH et moi pour une émission
Sür un Siess. En effet, je choisissais toujours mes invités sans aucune contrainte extérieure. Durant toutes mes années de productrice-présentatrice, il n'y eut qu'un invité qui me fut imposé par Jean-Louis ENGLISH. Ce dernier voulait que je chamboule le programme initialement prévu pour le 12 avril 1997 car ce jour-là le Racing jouait en finale au Parc des Princes pour la Coupe de la Ligue. Il souhaitait que Roland WELLER soit mon invité. Il m’aurait donc fallu déplacer en dernière minute l'enregistrement programmé avec l'artiste peintre Christophe WEHRUNG. Je désapprouvais ces façons de procéder et je n'avais pas l'intention de me plier à ces ordres ! Jean-Louis ENGLISH me téléphona pour me faire savoir qu'il arrêterait la série si je n'obéissais pas ! « Eh bien, arrêtez-la ! », ai-je répondu. Il fut éberlué par ma réponse et envoya Eric SOLD en médiateur. « Sei nit so sturr » (Ne sois pas si têtue)
m'a conseillé Eric . J'acceptais alors de lâcher prise : Eric avait une grande aisance de persuasion, une qualité parmi de nombreuses autres. Il était pacifiste. Il me fallut donc préparer à la hâte l'émission avec Roland WELLER, et très sincèrement, je l'ai faite avec plaisir. Mon entêtement n'était nullement lié à une réticence par rapport à sa personne. Au contraire, j’étais ravie de découvrir des pans de sa vie que je ne connaissais pas. J'étais admirative devant le travail réalisé par Roland WELLER pour mener cette carrière-là, aussi bien au niveau du Racing (qu'il quittait alors à contrecœur après trois ans de présidence réussie) que comme homme d'affaires qui avait monté une gigantesque entreprise de traiteur.
Je dois reconnaître que Jean-Louis ENGLISH avait eu raison de bouleverser mon programme en associant
Sür un siess à cet événement sportif. Son flair journalistique ne l’avait pas trompé : le samedi 12 avril 1997, jour où fut diffusée l’émission dont Roland WELLER était l’invité, le Racing s'imposa à Bordeaux à l'issue d'une insoutenable séance de tirs au but et se qualifia pour la Coupe de l' UEFA. Eric SOLD y était bien sûr présent et a transmis comme d’habitude sa fougue, sa joie et ses connaissances footballistiques, inscrites en lui si naturellement qu’elles semblaient
innées.
Simone MORGENTHALER
avec l' un de ses invités, Patrick FOLTZER, garde-forestier à Wildenstein
- Emission Sür un siess - 1995 / Photo pour
illustrer un programme TV
©
France 3 Alsace
Je me souviens bien de l’été 2000 lorsqu’Eric est mort. Je venais de faire paraître
Un été en Californie, au cœur du rêve américain avec les Alsaciens du Nouveau-Monde. Je préparais les émissions de la rentrée, notamment celle qui avait pour invité Paul JUNG de Batzendorf, puisatier, et champion du monde en tir de précision. Avec lui, j’ai parlé tout naturellement d’Eric Sold car il l’avait déjà évoqué dans ses reportages. Ce soir-là, en rentrant de repérage, j’ai passé les portes vitrées de France 3 Alsace… La mort d’Eric remplissait le petit monde de la télé ; monteurs, caméramans, journalistes, électros, standardistes, machinistes, scripts ne parlaient que d’Eric et de son départ foudroyant, en début d’après-midi alors qu’il s’accordait quelques minutes de détente dans un fauteuil avant de reprendre son rythme exaltant.
Partir avec cette légèreté est une grâce qui n’est pas donnée à tous.
Après la disparition d’Eric, Jean-Louis ENGLISH a voulu que le studio 2 porte son nom. Bel hommage pour Eric qui a foulé le sol et animé les plateaux de ce lieu si souvent, où des milliers d’heures de télévision ont été menées par Claudine BERTHIER,
Michèle BUR, Daniel CHAMBET-ITHIER, Jean-Luc FALBRIARD, Christian HAHN, Christine
LEFEVRE, Guschti VONVILLE, Jean-Claude ZIEGER et bien d’autres.
Je garde de ce lieu des images d’un passé formidable, où la richesse culturelle et linguistique a su s’épanouir pleinement en toute liberté et convivialité !
Il porte un nom qui, lui, reste vivant en nos mémoires et en nos cœurs.
Tu vois, Eric, on ne meurt jamais tant que les autres vous portent dans leur cœur.
Mer stirbt nie solang ass d’Andere unsereiner im Herz traawe.
Perce-neige
© Simone
Morgenthaler
8 mars
2013
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