CONFERENCE-DEBAT ORGANISE POUR LE CENTENAIRE DU FOOT A HAGUENAU
Comme si vous y étiez...
23 MAI 2000 - MEGAREX - Haguenau- 20 h
Arsène WENGER, Léonard SPECHT, Pierre PLEIMELDING |
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Animation Eric Sold qui commence par remettre
-enfin- la coupe |
© Netcomete.com |
Un public de près de 350 personnes (composé d'entraîneurs, d'Ernest Jacky, Président de la LAFA, de Francis Willig, des présidents des clubs haguenoviens mais aussi d'autres passionnés de football) a été plus qu'attentif aux propos qui ont été tenus sur le monde du foot (le foot en Angleterre, en Europe, la violence, les finances...)
COMPTE RENDU Netcomete :
Eric SOLD fait remarquer que le palmarès d'Arsène est éloquent. Par contre, il y a ces deux coupes d'Europe perdues. Zidane met deux semaines à se remettre d'un échec. Et Arsène à propos du matche contre Galatasaray ?
"On ne s'en remet jamais totalement. Les nuits sont difficiles mais les journées normales. C'est quelque chose qui fait très mal. On avait joué 15 matches pour en arriver là, et quand on a perdu au dernier au penalty, on a l'impression de se faire voler la Coupe. Il y a toujours un blocage tant qu'un premier but n'est pas marqué. Les Turcs voulaient peut-être la Coupe plus que nous; ce qui arrive aux équipes non favorites c'est qu'elles n'ont rien à perdre, donc plus de liberté mentale..."
L'équipe autour d'Arsène
"A 34 ans, à Nancy, j'étais entraîneur, tout seul. Actuellement je gère tout, de la tonte de la pelouse au lavage de maillots, mais nous sommes une équipe de 13 (5 sur terrain, 8 dans le staff médical), sans parler des recruteurs qui travaillent pour nous. Je suis donc très entouré. De plus mes adjoints ont toujours été nécessaires pour m'adapter à une culture nouvelle. Exemple, au Japon, il m'a fallu 3-4 mois pour comprendre comment les gens réagissent. On m'a fait saisir qu'en Angleterre, contrairement à la France, on ne voit pas pourquoi il faudrait mettre les joueurs au vert.
Par contre, pour gérer les états d'âme, il faut une seule personne décisionnaire dans l'équipe. Je passe beaucoup de temps à régler des problèmes psychologiques, à parler. D'où l'intérêt de parler plusieurs langues pour bien COMMUNIQUER. Et parfois même je m'entoure d'interprètes."
Si les résultats sont mauvais, on vire l'entraîneur ?
"Oui, et c'est normal dans ce cas, car c'est lui qui choisit ses adjoints, son équipe, les transferts. De façon général, le meilleur entraîneur, pour moi, n'est pas celui qui gagne tout le temps, mais celui qui arrive à tirer le maximum d'une équipe (même dans les clubs de football des villages). Etre manager à l'anglaise, c'est le profil que je préfère, j'aime que l'entraîneur ait la possibilité de choisir. Bien sûr, d'un autre côté cela demande du travail, beaucoup d'énergie. On peut se fatiguer.
Mais il est à constater que pour 90% des joueurs leur carrière est due au club dans lequel il sont; seuls 10% peuvent jouer n'importe où car leur mental est au-dessus de tout. A propos du recrutement, notre staff de recruteurs se renseigne bien et observe les joueurs prometteurs à l'entraînement sans que ces derniers ne le sachent. Leurs réactions, leur tempérament. Car même si un joueur est bon physiquement et techniquement, il n'est pas forcément fait pour s'expatrier."
Léonard SPECHT , fort de son expérience de directeur sportif à Sochaux, pense que l'entraîneur doit être l'homme fort car c'est lui qui est toujours accusé en cas d'échec. Le kiné, forcément proche des joueurs, doit communiquer avec l'entraîneur pour anticiper quelques problèmes.
Le foot en Angleterre et tout particulièrement à Arsenal ?
"L''ambiance dans les vestiaires avant matche relève de la fête plus que d'une concentration silencieuse. Danse, musique à fond. Préparation très courte. On jouait et réussissait ainsi avant que j'arrive. Je me dois de respecter quelques habitudes tout en changeant ce qui est nécessaire, par exemple au niveau de l'entraînement dont les Anglais ne sont pas fanatiques. Certains ont une vie bien à eux, pas forcément calme, mais en tout cas le samedi ils sont là, au top, avec un mental positif ! C'est ce qu'il faut. D'ailleurs un joueur de haut niveau ne peut réussir s'il n'est pas intelligent !
Arsenal est un club qui a 130 ans d'existence. L'Anglais supporte son club dans tous les sens du terme. La fidélité est le mot-clé du foot anglais. D'ailleurs, le public ne siffle pas et n'agresse pas ses joueurs. Le club : c'est pour la vie et c'est un sujet quotidien. Lorsque mon équipe a une défaite, je pense toujours au malheur inévitable que nous créons dans beaucoup de familles ! Signalons que déjà à la naissance vous pouvez entourer votre bébé d'articles à l'effigie du Club préféré; il y a des catalogues par correspondance très étoffés !
Perdre 2 ou 3 matches est grave, la confiance s'échappe et elle ne revient qu'avec des résultats positifs. Chaque année, nous avons une période de grave crise que nous essayons d'éradiquer au plus vite et le mieux possible. Mais notre club gagne moins d'argent qu'au début où je suis arrivé bien que nous fassions 50% de plus sur les entrées, bien que notre chiffre d'affaire ait doublé. Les salaires des joueurs sont très élevés, et nous savons exactement jusqu'où nous pouvons aller et ce que nous ne pouvons pas nous permettre. Avec 480 millions de francs, nous sommes le 6e budget d'Angleterre; Manchester tourne à 680 millions ! "
Question du public :
Avec 10 nationalités différentes dans une équipe, peut-on parler de spécificité anglaise ?
""Même si les caractéristiques ont changé (le foot se joue plus à terre qu'avant, le gazon est d'une autre qualité) et si les joueurs viennent d'autres pays, on conservera l'aspect anglais dans le fait que le public pousse l'équipe à aller de l'avant. L'Anglais veut que le joueur se défonce; il ne pense pas à sa nationalité. Dans mon équipe cosmopolite, quatre clans se formaient, il fallait que j'essaye de trouver une identité culturelle commune, européenne et dans l'esprit du Club. Dans le temps, au Racing Club de Strasbourg, on pensait qu'il fallait uniquement des joueurs de la région, ensuite il y a eu évolution, critiquée au départ, vers des joueurs d'autres villes françaises; maintenant on est au stade d'autres joueurs européens. Dans le Centre de Formation d'Arsenal, il y a 60 % d'Anglais, 40 % de Français et le travail est réalisé dans une vision européenne."
L'échec du football en Allemagne ?
" L'Allemagne comporte 5 millions de licenciés, soit 3 millions de plus qu'en France... et pourtant il n'y a pas de joueur qui se détache. En fait, il n'y a pas eu d'investissement dans la formation, dans la qualité du travail. J'ai été élevé dans l'admiration du football allemand qui réussissait à l'époque (Bundesliga, Bayern Münich, Mönchen Gladbach...). Il n'y avait pas davantage de formation, mais ailleurs non plus. Maintenant, il y a un retard de 15 ans. La France, elle, est si bien organisée dans la détection de talents qu'il est quasiment impossible de passer à travers les mailles du filet !"
La violence dans le monde du football
"Nous sommes allés à la finale de Coupe d'Europe avec le sentiment d'aller à la guerre. La sécurité militaire et policière était présente partout et pour cause. La finale devrait être une fête pour les deux équipes, hors même les restaurateurs ferment le plus souvent par crainte de vandalisme lors de grands matches. A quoi servent des coups de couteaux dans un contexte et un esprit de sport ? Les dirigeants n'en dormaient pas. Bien sûr les entraîneurs ont une responsabilité dans la gestion du comportement des joueurs, mais c'est une responsabilité limitée car l'impact est minimal. Les médias ont aussi leurs torts à titrer des articles "Matche du siècle... Ca ou la Mort...". Et de toute façon, cette violence provient de la société et s'extériorise ensuite dans le foot; ce n'est pas le foot qui engendre la violence...
En Angleterre, les matches se passent bien, d'ailleurs il n'y a pas de grillage entre le terrain et les joueurs. Les joueurs sont aimés dans les bons comme dans les mauvais moments. On chante, chaque joueur a sa propre chanson."
Dans le public quelqu'un se demande pourquoi un joueur en échec n'est pas sifflé.
"Si vous avez votre fils qui joue sur un terrain de foot et qu'il ne gagne pas, vous allez le siffler ? En Angleterre, il y a le même rapport..."
Pierre PLEIMELDING pense que si le foot doit déboucher sur une guerre hors-stade, il préfère s'arrêter de suite. Si son équipe est traitée de façon violente, il préfère encore se consacrer à la pêche et ne pas vivre cela, ni en tant que spectateur, ni en tant qu'entraîneur !
Responsabilité de l'entraîneur (suite)
"Sur le terrain, l'entraîneur est totalement responsable de son équipe. Il peut aisément combattre ou sanctionner des actes violents. A l'époque à Cannes, il n'y avait aucune possibilité d'arbitrer, tant la violence régnait. Certains adeptes de la victoire à tous prix (donc quitte à donner des coups) n'ont pas compris comment j'ai demandé à rejouer un matche que mon équipe avait gagné. Mon fair-play, certains l'ont trouvé ridicule, car dans le sport à haut niveau, l'idée de fair-play est liée à la défaite.
L'entraîneur a une énorme influence sur son équipe.
Léonard SPECHT pense qu'il y a moins d'"attentats" entre joueurs depuis que les matches de hauts niveaux sont entourés d'une vingtaine de caméras. Et si un joueur se permet un abus, il est mis en exergue. L'arbitrage est plus dur qu'avant, les sanctions aussi. La violence provient de la ville, règne aussi à l'école. Lui-même travaille dans les tramways et doit veiller aux problèmes de sécurité (la conception des wagons est étudiée pour minimiser le vandalisme...).
Eric SOLD fait remarquer que la violence règne aussi sur les routes. 8 500 morts chaque année en France. Aujourd'hui-même 25 morts et 400 blessés graves... avant de redonner la parole à Arsène.
"Un Anglais n'exprime pas trop ses états d'âme et l'arbitre est respecté davantage. Au Japon, si vous perdez votre famille, vous irez quand même au travail sans vous plaindre. Alors qu'ici en France, on s'épanche très facilement, on a l'esprit contestataire, et ce comportement se ressent face aux arbitres. En Angleterre essayer de faire donner un carton jaune à un joueur est considéré comme dégradant."
Léonard SPECHT dit que la violence a baissé dans les stades, mais que les tricheries ont augmenté...
"Il faut prévoir des sanctions. Il est dur pour l'arbitre de discerner un tacle et la simulation d'un tacle. Grâce à la vidéo et au ralenti, on peut établir un constat réel. Un joueur qui tourne cinq fois sur lui-même sans qu'on ne l'ait touché mérite la suspension. Il est dit que certains centres de formation jouent plus sur la performance en poussant les joueurs à tricher, à dissimuler; ce sont des centres de déformation. Là aussi la responsabilité de l'entraîneur est importante."
Pierre PLEIMELDING pense que la violence est un manquement dans l'éducation et un manquement de l'éducateur". A son niveau, il préfère être éducateur d'hommes qui peuvent perdre que dresseurs d'une meute d'animaux. Remarque pertinente que le public applaudit...
Eric SOLD continue avec le dernier point concernant la libre circulation des joueurs, le recrutement et redonne la parole à A. Wenger...
"Désormais un joueur peut partir en fin d'un contrat, sans indemnités pour le club.
L'exception sportive selon la ministre Buffet n'a aucune raison d'être.
Il faut aller vers la mondialisation...
La France est pénalisée par rapport à la fiscalité appliquée. Il faut absolument une harmonisation fiscale, sinon il n'y aura pas d'Europe possible. Le foot est en avance sur la mentalité des pays pour ce qui concerne la nationalité des joueurs. D'ailleurs, un joueur de Lens est plus proche de Londres que de Nice ! Il y a cinq ans les joueurs étrangers étaient rares, actuellement on tourne à 60% de joueurs étrangers dans les clubs.
A Arsenal, on peut aller jusqu'à 38 000 spectateurs et nous avons un projet de construction de stade à plus d'un milliard de francs que nous devons financer nous-même. Il y a les recettes des entrées, des sponsors, du marchandising. Nous misons sur la détection des talents qui s'élargit au Brésil, à l'Afrique (et nous ne sommes pas les seuls !). Les trois prochaines années les contrats devraient encore doubler. Il reste une dernière ressource à exploiter : internet.
Le joueur moyen est surpayé, par contre le joueur de talent mérite son salaire; il doit jouer dans un grand club étranger avec obligation de gagner, son mental doit être très fort. D'ailleurs si la France a gagné la Coupe du Monde, c'est bien parce que les joueurs provenaient de grands clubs de l'Europe. Par contre, Arsenal ne se situe qu'en deuxième division budgétaire, bien après certains clubs italiens (Juventus, Roma...) contre lesquels on ne peut lutter. Le Racing Club de Strasbourg, lui, est en troisième division budgétaire avec 150 millions de francs."
Une personne du public demande si la formule actuelle du RCS a un avenir. Réponse catégorique d'Arsène
"NON ! ... tant qu'il n'y a pas d'argent ! Pourquoi croyez-vous que certains vont dépenser plus de 400 millions de francs ?"
A propos d'un retour au Racing ou en Allemagne
"Le Racing est mon club de coeur, de mon enfance. J'ai failli y retourner après le Japon; à ce moment-là, j'ai eu des négociations sérieuses, mais j'avais déjà donné mon accord oral à Arsenal qui a décidé ensuite de m'engager. Pour l'instant, je suis bien, là où je me trouve, j'aime mon travail et mon contrat ne s'arrête qu'en 2002. Il est clair aussi que plus on descend dans l'Europe, plus la liberté de l'entraîneur baisse. D'où ma prédilection pour l'Europe du Nord dans mon travail !"
Suivent quelques réflexions sur son limogeage de Monaco la 8e année : "Ca m'a fait moins mal que de perdre un matche important !" ("Et...un bon entraîneur a été limogé une fois dans sa vie" pense Eric Sold).Sur le soi-disant pillage de joueurs : "Prenons le cas de Jérémie Aliadière. Non seulement, il s'est retrouvé dans un contexte familial favorable puisqu'il pouvait vivre avec ses grands-parents en Angleterre. De plus, on lui donne une chance de progresser. Au pire, il repartira avec un pécule qui lui permettra de bien aborder la vie... Nous n'avons pas à verser des indemnités à tous les clubs dans lesquels il a joué. Par contre, les années à Clairefontaine ont été bénéfiques...Si vous-même avez un fils qui excelle en mathématiques et que vous savez que l'école qui lui conviendrait se trouve dans un autre pays, que feriez-vous ?" Sur le rachat du Racing à 5 Millions de francs : "S'il est revendu à ce prix-là j'achète, mais il n'y a plus aucune chance de l'obtenir à ce prix !". Sur la cotation en Bourse : "Inévitable, les clubs sont devenus de trop grandes puissances financières. Les Médias achètent de grosses parts. Par contre la rapidité des décisions en sera freinée. Mais pour Arsenal qui est entre les mains de sept gros propriétaires, les décisions sont plus simples; après une réunion mensuelle où j'expose mes projets, je sais de suite si c'est oui ou non. "
Pour conclure la soirée, Arsène Wenger remet un chèque de 8 000 F (issus des bénéfices de la soirée) à Christina COLOGER, directrice de l'IMP (Institut médico-pédagogique) de Harthouse . Bon apport pour cet institut qui forme, entre autres, des adultes handicapés. Saluons cette initiative et remercions Monsieur Werner du Mégarex qui a mis la salle à disposition et les 4 intervenants qui ont offert leur service gracieusement. Ce soir, ce n'est pas l'argent qui a motivé les débats...
Monsieur André ERBS de la Mairie a remis un ouvrage sur l'Histoire de Haguenau à A. Wenger; L.Specht et P. Pleimelding, sur les poèmes de Claude Vigée à E. Sold.
Jeanine KLEIN a chanté la fameuse chanson de Gloria Gaynor, "I will survive".
Le public a demandé des autographes...
22 heures 30. Une troisième mi-temps a suivi, et bien sûr les discussions ont continué dans le hall...
textes et photos
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Pour d'autres détails, voir aussi les deux pages suivantes :
INTERVIEW EXCLUSIVE D'ARSENE WENGER
© Netcomete.com / Mai 2000
Article et photos Elisabeth Messmer