"Le
rêve de l'homme lucide" |
- Commentaires - |
Si Philippe Ségur n’avait pas écrit ce livre - grave et gravement drôle –, il ne serait jamais revenu à la vie ! Ou devrais-je dire venu enfin à la Vie ? Dans « Le rêve de l’homme lucide » c’est le je profond qui finit par l’emporter sur le jeu des apparences. Dans ce récit puisé abondamment dans sa propre histoire, tel un direct live qu’il nous fait partager, l’écrivain crache son âme avec élégance, ironie, ou irritation selon les moments, expulse le bilan de tant d’années de survie dans les non-dits, les non-avoués, maintenu droit avec les béquilles alcoolo-tabaco-psychotropiennes si répandues sur le marché. Le « héros », Simon Perse, a tout fait pour en éviter son écriture, mais à bout d’arguments il s’y met et se pousse dans les derniers retranchements physiques, psychiques, physiologiques. Il en sort exténué, mis à nu, mais soulagé et prêt pour une renaissance adulte. Décidé à ne plus dormir pour régler ses problèmes d’insomnies, c’est le début d’un parcours initiatique chaotique. On croit être embarqué dans une allègre virée, on se retrouve à visiter les antres sombres de notre société entière et on atterrit à plat sur un miroir où l’on n’a plus le choix que de se regarder en face et de procéder à l’évaluation de notre vie ! Nous convient-elle, pourquoi suivre le mouvement, faire semblant d’être heureux et léger, notre destin est-il une fatalité, peut-on se satisfaire de succédanés de bonheur, l’amour n’existe-t-il qu’en rêve ? En proie à des hallucinations captivantes et envoûtantes, l’écrivain dépité et fatigué dresse l’inventaire de sa simili-existence habituelle, ordinaire et subie. Ouvrage perturbant, fascinant ; on s’y projette, on s'y retrouve, on s'y découvre à un moment ou à un autre… tout en souriant. Car la souffrance est mieux dégagée dans un tourbillon d’humour espiègle, grinçant, de cynisme voire de sardonisme envers tous les bien-pensants si sérieux, les charlatans politiquement corrects, épinglés avec grande inspiration. Des vérités crues ou des reparties, des remarques qui solliciteront nos zygomatiques, qu'on le veuille ou non. Car on peut être malheureux et avoir de l’humour. A lire et à relire, tant c’est juste, original et cocasse : les dialogues entre Simon et sa soeur, les entretiens avec le psychanalyste, les remarques de sa fille, la théorie sur l’homéothermie, les conférences universitaires, les lecteurs avides de l’auteur, les rencontres littéraires… C’est de la réflexion baignée de l’esprit de Goethe, de Hesse dans son Loup des Steppes ou dans son Demian, de Nietzsche, voire d’Erasme dans son Eloge de la Folie… mais avec cette touche contemporaine de joyeuseté dramatique ou de tragédie comique. Il l’a déjà prouvé dans ces précédents ouvrages, Philippe Ségur fait partie de ces auteurs Beigbederfoenkinosiens comme on les aime, avec quelques années de parcours de survie en plus. Ici il fait sa grosse crise d’adulte, celle qu’il n’a pu faire ni durant son adolescence ni durant son mariage ; il a choisi de ne pas mourir… et en ressort avec une sagesse… certes modérée et relative : paré d’une petite lumière d’espoir, il se sent enfin plus apaisé, car lucide ; il est enfin devenu LUI. Son personnage de roman a muté en personne réelle qui accepte (un peu davantage) la réalité. On
pensait les romans plus soft que
la vie ; ce n’est plus le cas ici, car ce roman
est l’empreinte-même de la vie. Seuls les footballeurs, les fervents de Mauriac, quelques esprits supérieurs du monde universitaire ou médical, les internautes se gavant de virtuel et les supra-consommateurs d’hypermarché n’auront peut-être pas un regard affable sur ce livre. Mais tant pis pour eux ! Les mots sont des pistolets chargés. Le « héros » ne dort plus, et vous, en glissant dans ce lit(-vre), vous risquez de ne plus vous endormir (sous votre vie)… Elisabeth Messmer - Netcomete |
Page netcomete : portrait Philippe Ségur |
Site de l'auteur |
Site de l'éditeur |
Retour accueil netcomete |