Eric et moi avons été les meilleurs amis du monde, avons partagé quatre années en non-stop ensemble. De quoi laisser des traces indélébiles ! Il sortait du Collège moderne de garçons (actuellement Lycée Pasteur) où il avait passé son brevet. Dans la foulée, il avait réussi le concours de l’Ecole Normale en même temps que moi. Nous étions donc destinés à devenir instituteurs… avec la possibilité de prendre d’autres voies par la suite.
A l’époque, il existait encore quatre Ecoles Normales dans le Bas-Rhin : l’EN catholique pour filles à Sélestat, l’EN catholique pour garçons au Neudorf, l’EN protestante pour filles à la Meinau et… l’EN protestante pour garçons, avenue de la Forêt Noire à Strasbourg (aujourd'hui Inspection Académique). C’est dans ce dernier bâtiment que nous nous sommes croisés la première fois ; nous nous sommes de suite bien entendus.
Nous y vivions en internat, y compris ceux qui étaient originaires de Strasbourg… D’ailleurs les parents d’Eric n’habitaient pas loin, à Mittelhausbergen, et son père travaillait à la SNCF, (donc possibilité de trajets gratuits). L’équipe pédagogique, les surveillants, l’ambiance générale : nous y étions simplement bien ! Nous y avons passé notre baccalauréat et avions l’avantage d’être logés, nourris et rémunérés. Nous nous sentions déjà plus libres et indépendants avant 18 ans !
Une partie de la classe
Jean-Georges agenouillé à droite, Eric derrière lui,
près du mur à gauche
L’un de nos surveillants fut Martin DIENER. Il avait été normalien dans la même Ecole que nous et poursuivait ses études. Il a ensuite exercé en tant que notaire à Strasbourg.
M. Kern et M. Zell étaient eux les deux autres « pions ». Yves ZELL fut un excellent handballeur. Il est d’ailleurs devenu plus tard le beau-frère de M. DIENER !
Globalement cent élèves étaient recrutés par an pour un département. Donc chaque Ecole Normale comportait grosso modo 25 élèves par promotion. L’EN protestante de garçons fut en ce temps-là une pépinière de joueurs de handball ! Et ne dites surtout pas handboool, cela irritait notre professeur de sport, Henri LAMBERT ! Quel enseignant prodigieux ! Il a su nous motiver, nous soutenir sans cesse… Avec lui, nous sommes allés jouer jusqu’en finale nationale universitaire ! Nous étions Champions de France de handball !
Henri LAMBERT
Une partie de l’Equipe de handball de l’EN
Zoom sur Jean-Georges à gauche et Eric à droite
Mais nous avons pratiqué toutes sortes d’activités physiques avec Monsieur LAMBERT (gymnastique, athlétisme, natation…) ; cependant j’avoue que le saut en hauteur n’inspirait guère Eric et que le grimper de corde le laissait encore plus perplexe, cloué au sol !
Mais alors au handball, incroyable ! Sa grande taille, ses grandes mains, son adresse, son esprit d’équipe, sa motivation ont contribué à en faire un très bon joueur ! D’ailleurs il jouait simultanément au SEC qui était un club civil au beau succès jusqu’en Nationale également.
Henri LAMBERT nous a communiqué son amour du sport ; il avait une intelligence, une présence hors-pair mais se montrait très exigeant. On appréciait aussi les cours de musique d’André STRICKER. Globalement, nous avions de la chance d’être à l’Ecole Normale protestante, l’état d’esprit y était lumineux et certains qui en sont sortis ont eu des parcours passionnants. Nous faisions partie d’une élite intellectuelle et sportive. D’ailleurs pour les établissements secondaires mais surtout pour les « Cours Complémentaires » annexés au primaire, c’était un honneur lorsqu’un élève suivait l’EN. Moi j’avais déjà entamé le lycée, et comme mon père était décédé et que ma mère institutrice était tombée gravement malade, cette dernière m’a suggéré de rentrer à l’EN. J’avais donc 17 ans quand j’ai connu Eric, un an de plus que mon complice.
J’ai toujours trouvé Eric atypique. Il s’imposait avec sa taille et son visage, sa voix, son charisme.
Il était très intelligent, il avait une mémoire incroyable, un esprit de synthèse hors du commun. Il était aussi curieux de tout…
Quand je dis curieux de tout, ça pouvait être dans les connaissances scientifiques, la culture générale… comme dans les potins particuliers ;
déjà un côté « people » ! A l’Ecole Normale, c’était lui la rubrique « Echos locaux ». Il voulait tout savoir, savait beaucoup, racontait, expliquait… Même la vie des professeurs était étudiée de près… Parfois c’était limite !
Et le plus drôle, c’est qu’il allait alors délibérément se faire couper les cheveux chez un coiffeur à la Meinau, proche du Racing Club de Strasbourg, pour connaître les dernières news officieuses du Club. D’ailleurs je l’ai toujours connu avec la passion pour le Racing, le football en général.
La recherche et la transmission de toutes sortes d’informations sportives ou non ont toujours été son fort.
Ce que je trouve aussi incroyable, c’était la facilité avec laquelle il nouait des relations, sa facilité à s’adapter à tout le monde, son ouverture, son côté tactile dans le dialogue. Il n’a jamais été prétentieux ou hautain ; il savait d’où il venait, il savait qui il était.
Et autre aptitude : il n’avait pas besoin de beaucoup d’heures de sommeil. A ce sujet, je me souviens, qu’après les cours, certains allaient deux heures en études, alors que nous nous entraînions au handball avec d’autres acolytes. Ensuite dîner puis une heure d’études… Là en général je n’en pouvais plus, je commençais à m’endormir. Et on décidait alors de nous lever plus tôt le lendemain pour étudier… Mais là où moi j’avais besoin de plusieurs heures et de concentration pour mémoriser, lui il lisait en diagonale, mémorisait tout en tournant les pages bien plus rapidement que moi. Et le pire c’est qu’il avait synthétisé le tout ! Ca pouvait m'irriter!
La première année, nous dormions dans un grand dortoir commun avec une trentaine de lits, puis la deuxième et la troisième année dans un dortoir de 10-15. Il n’y a que la dernière année où nous avions le choix entre une chambre individuelle ou en duo. Eric avait pris une chambre seul… mais venait sans cesse dans la mienne… qui très rapidement fut nommée « Chambre de conscrits » par le directeur qui nous reprochait l’ambiance musicale, nos discussions incessantes, nos rires et
un certain désordre !
Les cours, nous les passions ensemble, tout comme les heures de révision et les heures de sport.... Nous faisions des matchs de handball ensemble, vivions de belles soirées d’après- matchs aussi. Parfois nos matchs du SEC avaient lieu dans la Halle du marché de Neudorf et
nous prenions un pot dans un bistrot à proximité du Scala qui était encore un cinéma de quartier.
Novembre 1960
Eric et Jean-Georges, soirée d’après-match à Strasbourg-Neudorf
Nous fêtions Carnaval gaiement. Je me souviens d’un mois de février où le thème fut la guerre d’Algérie… Et Eric qui imitait parfaitement le Général de
Gaulle en levant ses bras : « Je vous ai compris ! » (la célèbre phrase du Général, issue de son discours à Alger en 1958).
Carnaval EN
Eric levant les bras
Procession de Carnaval
Eric devant à droite, déguisé en de Gaulle
Toutes les fêtes officielles furent emplies de joyeuseté !
Fête de Noël en 1959.
Jean-Georges et Eric à droite
Zoom sur Jean-Georges et Eric derrière lui
Voyage à Paris
(Jean-Georges à gauche, Eric au centre avec veste claire, à côté du
professeur Lambert)
Pièce de Théâtre
(Eric et Jean-Georges, acteurs...)
Fête du Père Cent (les derniers cent jours d’EN)
Eric à droite
Zoom sur Eric
Nous avions toujours des idées pour varier les activités ! Les week-ends où nous étions libres, nous partions ensemble. Eric était un adepte du bowling, d’autant que Strasbourg venait d’en ouvrir un. L’activité n’était pas encore étendue à toute la France. Eric s’est encore adonné pas mal d’années à cette passion.
Nous allions aussi souvent en discothèque, disons au bal du samedi soir. A Wolschheim, Westhoffen, Kirrwiller… Nous partions avec une Lambretta qu’Eric conduisait. Lorsqu’il faisait plus frais, nous parions nos vestes d’une couche épaisse de journaux ! Il m’est arrivé un soir de m’endormir sur la selle arrière ; j’étais en train de basculer de côté. Nous avons souvent évité le pire in extremis !
Les vacances aussi furent pour nous l’occasion de vivre en duo. La première année nous nous sommes fait de l’argent de poche en travaillant chez un peintre d’intérieur. Nous étions des pros de la peinture et surtout de la tapisserie. Très vite nous avons étendu nos services à toute sa famille et à la mienne !
En 1960 et 1961, nous sommes allés direction Biarritz. Nos deux scooters nous y attendaient déjà ; Eric ayant précédemment fait un stage dans une entreprise de transport « L’empereur Duparc », le patron nous avait rendu cet aimable service. C’était Raymond HAHN, devenu ensuite président du CROSA (Comité Régional Olympique et Sportif d’Alsace)…
Nous avons atterri dans une auberge de jeunesse à Anglet. Celui qui la dirigeait était alsacien et il nous a pris en sympathie, nous a proposé de le seconder dans les tâches de secrétariat. Nous sommes donc devenus
adjoints du directeur de l’Auberge de Jeunesse ! Nous nous occupions durant plusieurs heures du courrier, du secrétariat ; et nous expliquions aux jeunes de passage qu’ils ne pouvaient rester que 3 jours au maximum ! Nous avons passé ainsi deux mois ! Et beaucoup de nuits blanches ! Parfois, après une sortie nocturne, nous aidions encore à décharger des bouteilles de gaz pour camping de wagons arrivés à la gare au petit matin…
Nous avons été embauchés et étions rémunérés pour cette besogne… mais pas facile avec les yeux embrumés ! Des bouteilles tombaient parfois à nos pieds lors du déchargement qui s’effectuait à plusieurs sous forme de travail à la chaîne. A la fin de la mission matinale, nous devions porter nous-mêmes les bouteilles qui traînaient autour de nous vers les diverses camionnettes ou camions.
Nous allions aussi beaucoup à la plage… et avions du succès auprès des filles. Certaines avaient déjà une voiture et nous faisions alors des virées en Espagne.
Nos mamans étaient rassurées lorsque nous partions. Ma mère disait : « Tu as le droit de partir avec Eric car c’est un garçon sérieux ! » , la mère d’Eric disait : « Tu as le droit de partir avec Jean-Georges car c’est un garçon sérieux ! ». Cela nous arrangeait beaucoup même si parfois nous craignions que
la sœur aînée d’Eric, aille narrer quelques-unes de nos aventures.
Les portables n’existaient pas encore et parfois une maman contactait l’autre pour voir si elle avait des nouvelles. On en donnait sporadiquement par courrier, en évitant les détails.
Après avoir passé notre baccalauréat en sciences expérimentales, (le major de promo fut notre camarade WEISLOCKER), puis le CAP (Certificat d’aptitude pédagogique), je suis parti au Service militaire et Eric a intégré l’Université à Strasbourg pour devenir professeur de sciences naturelles.
A son tour, en 1962, il fut surveillant à l’Ecole Normale en poursuivant ses études et a continué encore quelques temps le handball.
Equipe de handball de l’EN en 1962-63
Eric debout, 2e à gauche. M. Lambert debout, 1er à droite
Jean-Georges félicite Eric
L’un de ses collègues, devenu « pion » comme lui, fut Jean-Jacques SCHAETTEL, qui – après le diplôme d’instituteur – a poursuivi des études de journalisme, puis a produit des émissions sportives à la télévision régionale. Plus tard, lorsqu’il est parti pour le journal l’Alsace à Mulhouse, c’est lui qui a proposé à Eric de le remplacer à FR3.
(Jean-Jacques SCHAETTEL a réalisé depuis énormément de documentaires, a créé Alsatic TV… )
Eric et moi avons encore passé quelques vacances ensemble, dont deux années consécutives en camping à Saint-Aygulf ; la bonne ambiance régnait ! En ce temps-là il
me semble qu'il était aussi arbitre pour le FC Monswiller, à confirmer;
en tout cas ses parents ont habité à Monswiller par la suite.
En 1964, je me suis marié et bien entendu il fut mon témoin !
Nous nous sommes souvent parlé en direct ou via téléphone lorsqu’il était professeur au Collège Vauban à Strasbourg-Esplanade (quartier où il habitait) et moi Conseiller Pédagogique en EPS à Saverne.
Autour des années 75, nous avons aussi eu l’occasion de nous mettre au tennis qui était un sport qui prenait de l’ampleur et proposait enfin davantage d’infrastructures adaptées. Nous n’étions pas au top du classement (30 ou
15/5) certes, mais cela nous plaisait de partager quelques parties. Cela dit il a gagné, par la suite, un trophée de tennis des Journalistes !
Mais au fur et à mesure qu’il prenait des responsabilités à la radio et à la télévision, les rencontres sont devenues plus rares. Souvent il me disait en me croisant : « Faut vraiment qu’on se voit ! », mais le temps lui manquait cruellement et je l‘avoue que ça m’énervait un peu ! Il me manquait !
J’allais parfois le voir au Collège Vauban, où je croisais aussi Charles WENCKER qui était un collègue qu’il appréciait beaucoup ; professeur de mathématiques mais aussi champion d’Alsace de Javelot !
Il lui est arrivé de m’interviewer lors de manifestations sportives où j’étais présent ou pour une émission comme
Uss’m Schuelersack le jour où elle était tournée à Saverne, ma circonscription de rattachement.
Lorsque Eric a été détaché de son poste d’enseignant pour les émissions sur les écoles et par la suite pour présenter
Es schlaat drizehn en alsacien ou produire Sportshow, j’avais davantage l’occasion de le retrouver.
A un moment j’ai dû être hospitalisé. Alors, dans son émission, Eric parlait avec son partenaire de plateau (qui ne me connaissait pas), en s’exclamant : « Alors on n’oublie pas de saluer qui ? … Jean-Georges ! » J’ai trouvé ce geste réitéré très sympathique de sa part !
Lors de ma convalescence, il m'a cherché pour m'emmener voir un match au
Racing.
La dernière fois que je l’ai vu, c’était en juin 2000, au Café Broglie à Strasbourg. Nous évoquions l’organisation de la nouvelle réunion des collègues de promo de l’Ecole Normale. L’année d’avant, en 1999, nous étions à Dossenheim pour une telle réunion, et c’est Eric qui s’était engagé à organiser la suivante, en septembre 2000. Je me souviens d’ailleurs qu’il m’avait dit que nous étions quand même restés bien jeunes ! Il ne pensait pas qu’un an après, il ne serait plus là !
C’est sa sœur Laure qui m’a appelé le 16 août 2000.
C’est difficile d’en faire le deuil… Les souvenirs restent vivants ; de plus l’actualité, le Racing, la rencontre avec des gens qui le connaissaient le remette sans cesse sur scène…
Quant à notre professeur, Henri LAMBERT, il est décédé il y a quelques années et son enterrement s’est déroulé en toute discrétion. Albert STRICKER nous a quittés également. Mais Martin DIENER a organisé une rencontre commémorative émouvante un an après pour rendre hommage à ces deux professeurs. Fameuse idée ! Malheureusement Eric n’a pas pu être de la partie !
Si là brusquement il revenait devant moi, je lui dirais :
« Eric, tu es quand même toujours un sacré farceur ! Viens je vais t’initier au golf ! »
ITV
du
25 février
2013
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